Par Géraud Bosman-Delzons

Samuel Nibouche (à droite) et Vincent Jacob, deux spécialistes du foreur de tige, inspectent les feuilles d’érianthus plantés en bordure d’une parcelle « test » du Cirad de Saint-Pierre.
Géraud Bosman/RFI

Cette larve de papillon se délecte du sucre de la canne en la forant de l’intérieur. Les planteurs de l’île perdent ainsi une partie conséquente de leur rendement. Des chercheurs du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) ont travaillé sur la question dans le cadre plus global de la lutte agro-écologique, qui vise à combattre sans pesticides les insectes et végétaux nuisibles. Le remède trouvé s’appelle l’érianthus. Près de 600 caniers ont été conquis par cette avancée majeure.

A première vue, la parcelle est des plus classiques. Un carré de cannes à sucre, hautes et vertes, prêtes à être rasées. Pourtant, les plantes qui bordent la parcelle ne sont pas des cannes, mais des érianthus : un roseau de la même famille, mais qui ne produit pas de sucre. Son intérêt ? Il attire et piège un insecte ravageur : le borer, ou foreur de tige.

Le borer (foreur en anglais) est un papillon introduit des Indes au 17e siècle par les navires qui transportèrent les premières boutures de canne. Présente en Asie, elle est aujourd’hui en train de se répandre en Afrique australe. « Dans les années 70, on aurait traité chimiquement, explique l’agronome Samuel Nibouche, coordinateur des recherches. Mais ici, avec les habitations au milieu des cultures, ce n’est pas possible. Donc les gens devaient faire avec ce ravageur. »

Un locataire bien gênant : les pertes de rendement peuvent atteindre 20%. 20 tonnes sur 100, c’est un manque à gagner considérable pour un planteur moyen. « Dans les années 1980, sur la variété de canne R17, on pouvait avoir jusqu’à 50% de pertes en tonnage et en sucre », se remémore Richard Tibère, technicien du Cirad.

Chilo phragmitella, ou borer, ou plus communément foreur des tiges, est un papillon parasite qui ruine depuis plus de 200 ans une partie des plantation de canne à sucre.
Flickr/Donald Hobern

Samuel Nibouche travaille sur ce ravageur depuis une quinzaine d’années. « Des érianthus se trouvaient au milieu de parcelles de cannes. On s’est rendu compte que ces plantes avaient énormément de dégâts sur leurs feuilles alors que dans leurs tiges, il n’y avait pas du tout d’attaque. Des tests ont montré que les feuilles d’érianthus étaient particulièrement attractives pour le foreur dans un premier temps, mais qu’ensuite la bestiole n’était pas capable de s’y développer. » La larve s’introduit bien dans la tige, mais ne peut s’y développer, la tige étant dépourvue de sucre. De là est née l’idée d’utiliser l’érianthus comme plante piège.

« Une méthode révolutionnaire »

Mené de 2013 à 2016 et testé en plein champ, le volet érianthus du projet Ecocanne est aujourd’hui en phase de diffusion et de promotion auprès des cultivateurs. Alex Toinette, sur les hauts de Saint-Gilles, a démarché le Cirad il y a trois ans, il est l’un des premiers agriculteurs à l’avoir expérimenté. « C’était un vrai problème, se rappelle-t-il. Toute la récolte était touchée. J’avais compté jusqu’à 15-20% de pertes de rendement, soit près de 2500 euros par récolte. » Après avoir planté des boutures autour de sa parcelle de 3,8 ha, son rendement s’en est trouvé largement amélioré : « Les lignes d’érianthus font comme un rempart au papillon. Mes cannes ont récupéré 1,5 point de richesse en sucre. » Au final, pour cet agriculteur, c’est un rattrapage de 400-500 euros par ha sur ce que lui vole la chenille. « C’est très intéressant car ça couvre par exemple les charges du désherbage. »

« Une ligne d’érianthus autour d’une parcelle divise les dégâts par deux ou trois tellement cette plante est attractive », s’étonne encore Samuel Nibouche. Selon les calculs du Cirad, en l’espace de trois récoltes, le pourcentage de canne touché est tombé de 90% à 51%. Un chiffre qui devrait logiquement aller en diminuant, à mesure que la méthode se propage. Entre 500 et 600 agriculteurs l’utilisent désormais selon le Cirad. « C’est une méthode révolutionnaire. Maintenant, l’enjeu des 10-15 prochaines années sera de voir si le foreur s’habitue ou non à l’érianthus. Mais ce sera pas avec moi, je suis en retraite dans trois ans ! », s’amuse Richard Tibère, heureux d’avoir vécu « le deuxième gros scoop de sa carrière au Cirad » (lire encadré).

Cependant, les cultivateurs reconnaissent un inconvénient à cette plante : sa croissance, rapide et volumineuse. « Il faut la faucher régulièrement, remarque Arthur Gonthier. La touffe est vraiment grosse. On en donne aux animaux mais il y en a vraiment beaucoup. » Le stock du paillage est une problématique en soi. A terme, les feuilles d’érianthus pourrait représenter une biomasse intéressante pour créer de l’énergie verte.

Des plantes de services en inter-rang

Ces avancées sont loin d’être anecdotiques. La production de sucre de canne est la première activité agricole de La Réunion. La canne à sucre s’étend sur plus de la moitié de la surface agricole de l’île et fait vivre globalement 18 000 personnes. Las, l’économie du sucre subit en ce moment les turbulences d’un marché très libéralisé, et La Réunion cherche à maximiser ses rendements en sucre faute de pouvoir étendre ses cultures. La chasse au papillon du sucre est grande ouverte.

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Reportage réalisé avec le soutien de l’Union européenne / Direction générale de l’Agriculture et du Développement rural de la Commission européenne.

Source : [Reportage] A La Réunion, le foreur de tige ne se sucrera plus – Science – RFI

Catégories : Agro Ecologie